Solitude. Voilà ce que j'ai ressentit en ouvrant les yeux sur le plafond d'une chambre d'hôpital. Une solitude ancrée depuis longtemps. Mes seuls amis étaient les bips des machines qui m'entouraient. Lorsque je tentais de me souvenir pourquoi je me retrouvait là, je n'y arrivais pas. Le noir total se contentait de me narguer. J'étais perdue, et c'est ce moment là qu'une infirmière à choisit pour se pointer. Les yeux écarquillés, elle a téléphoné pour annoncer que j'étais réveillée. Moins de dix minutes plus tard ma chambre était en effervescence, je regrettais presque le sentiment de solitude qui m'avait envahit un peu plus tôt. Le médecin a demandé le calme, les infirmières sont sorties et il a enfin pu m'expliquer la situation. « Mademoiselle, dites moi tout d'abord quels sont vos derniers souvenirs. » Ce n'était pas vraiment la question à poser. Ce trou noir m'effrayait. « Je.. Je n'en ai pas.. » Ma voix était éraillée après tout ce temps sans servir. Le médecin a soupiré, apparemment il aurait préféré une autre réponse, mais je ne pouvais pas la lui fournir. « Cela va vous paraitre abrupte, mais des annonces comme celle que je vais vous faire, je n'en ai pas fait beaucoup dans ma carrière.. Et je ne vois pas comment l'annoncer en douceur.. Vous sortez d'un coma de quatre ans. Vous avez eu un accident à l'âge de treize ans et, sans parler des blessures graves, vous avez subit une traumatisme crânien très important. Aujourd'hui, vous avez dix-sept ans.. » Il allait continuer, mais je ne pouvais pas le laisser faire. « Taisez-vous, s'il vous plait.. » Je fermais les yeux. J'avais perdu quatre ans de ma vie, toute mon adolescence, dans cet hôpital, dans cette chambre, avec pour seule compagnie ces voix auxquelles j'avais pourtant essayé de me raccrocher. Au final, j'avais même perdu ma vie entière, toutes traces de qui j'étais s'étaient envolées. Je n'étais plus personne. Je n'étais qu'une page blanche et je n'avais aucune idée de ce que je pouvais y écrire.

Durant l'année qui a suivit, ma famille -que ce soit mes parents ou mon frère- n'ont pas cessé de tenter de m'aider à me souvenir. Ça n'a pas marché. Je ne voulais pas sortir, j'avais peur du monde. J'étais effrayée par tout ce qui m'entourait. Et puis, plus poussée par l'envie d'échapper à ma famille qu'autre chose, j'ai commencé à sortir. J'ai trouvé un petit boulot, et c'est la seule chose qui me motivait pour sortir et m'éloignait en même temps de mes parents trop collants. Je bossais dans un petit magasin de photo, et j'y ai découvert un monde que j'aimais. Il y avait un polaroid et je l'ai acheté. C'est avec lui qui j'ai apprit à ré-évaluer le monde. A le voir autrement. J'ai commencé à prendre des photos d'à peu près tout. Je voulais garder des souvenirs de chaque chose que je voyais, que je ressentais. Je les affichaient sur les murs de ma chambres, mais ma mère voyait cela d'un mauvais œil. Cela voulait dire que je ne me remettrais jamais vraiment. Et elle avait raison. Elle avait perdu sa petite fille. J'étais quelqu'un d'autre.

Au bout de plusieurs années de cette vie d'oppression, j'ai décidé de partir. Je n'en ai pas informé mes parents car je savais qu'ils seraient contre et qu'ils feraient tout ce qu'ils pourraient pour me retenir. J'ai loué un appartement et m'y suis presque enfermée -mes parents avaient fini par me transférer de l'argent pour le loyer, j'ai accepté car je savais que c'était la seule chose qu'ils avaient trouvé pour ne pas perdre tous contacts avec moi. Je ne sortais que pour travailler, et pour prendre des photos, parfois.. Mais je faisais tout pour que personne ne me voit dans l'immeuble. Et ça marchait. J'étais devenue experte pour me faire invisible, mais apparemment je n'étais pas encore assez douée. Un matin, je suis sortie de mon appartement, et alors que je fermais ma porte, j'ai entendu une voix dans mon dos. « Oh bonjour ! On ne s'était encore jamais rencontré.. Ça fait longtemps que vous habitez dans l'immeuble ? » Je ne me suis pas retournée, même si je mourrais d'envie de voir son visage. Je ne voulais pas avoir de contact, j'avais peur des contacts humains. « Six mois. » Je l'ai presque vu sourire, je savais qu'il avait un sourire plaqué sur les lèvres. « Ca fait une semaine que je me cache derrière ma porte en essayant de vous avoir quand vous entrez ou sortez de votre appartement.. » Ce fut à mon tour de sourire, mais je ne me tournais toujours pas vers lui. « Pourquoi ? » Il a soupiré, comme cherchant une explication. « Je ne sais pas, je suppose qu'avoir une voisine fantôme était trop intriguant pour ne pas tenter de percer le mystère. » Mon sourire s'est élargit, et pourtant je me suis enfuie en courant dans les escaliers, comme un animal effarouché et apeuré. Premier contact avec une personne qui paraissait sympa et je n'avais pas trouvé le courage de faire durer le plaisir de l'échange. Si je rencontre quelqu'un dans la rue, cela ne me dérangeait pas de lui adresser la parole ou de lui répondre, mais j'avais peur de commencer ce genre de chose avec quelqu'un que j'allais voir tous les jours.

Ce soir la, dans a pièce qui me servait de journal intime, j'ai repeint l'un de mes murs pour pouvoir y écrire ma rencontre avec lui. Je ne connaissais même pas son prénom, mais cela importait peu. Aujourd'hui, j'ai rencontré quelqu'un. Un homme. J'ai rit, et ça m'a fait du bien...