❝ maman voudrait que tu nous fasses une salade pour ce soir. ❞ Estevan levait la tête en direction de la porte de sa chambre. Sa petite soeur reposait dans l'entrebâillure de la porte. Sans en avoir été invitée, elle pénétrait dans la chambre et se laissait aller sur le lit. Alors avachi dans son siège, Estevan le fit tourner et faisait désormais face à sa petite soeur.
❝ et si on commandait pizza ? ❞ dit-il tout en se levant de sa chaise de bureau. Fière de son coup, la fillette se levait à son tour et se jetait presque sur son frère qui avait déjà attrapé le combiné de téléphone.
La peau du ventre bien tendu, Estevan reposait sur le canapé. À ses côtés, sa petite soeur était obnubilée par l'émission de téléréalité que diffusait la télévision. Dans sa poche, le téléphone d'Estevan se mit à sonner. Le prénom d'Aria était affiché à l'écran et il prit la peine de se mettre à l'écart afin de prendre cet appel.
❝ sos je n'ai qu'un ami dans mon répertoire, bonjour. ❞ déclarait-il, un sourire narquois sur le visage.
❝ arrêtes tes gamineries esté ... ❞ le son de sa voix était à la fois blasée mais également enroué. Il trahissait une tristesse enfouie qu'Estevan ressentit dès le premier mot prononcé.
❝ dis-moi tout. ❞ bien qu'il ait aimé continuer dans sa lancée sarcastique, il savait pertinemment que ce n'était pas le bon moment. Après sept ans passés l'un constamment avec l'autre, soit la moitié de leur vie, il avait appris à jouer du côté impulsif d'Aria. Mais la situation ne portait pas à la rigolade et il avait toujours été la personne la plus présente pour elle.
❝ ils sont encore partis. tu vois ça devrait plus autant me toucher maintenant, je devrais y être habituée. mais là s'en est trop. je me sens seule, esté, trop seule. ❞ ❝ tu te feras jamais à leur absence, c'est un fait. ❞ un léger blanc s'installa, c'était comme si l'un et l'autre attende quelque chose de son interlocuteur.
❝ certes. mais ... je me suis dit que, puisqu'on est vendredi soir, et que du coup il n'y a pas école demain, tu pouvais passer à la maison, faire en sorte que je me sente moins seule quoi. ❞ un sourire s'affichait doucement sur le visage d'Estevan qui avait vu cette demande arrivée gros comme les seins de Pamela Anderson.
❝ c'est une question ou un ordre ? ❞ ❝ estevan ... ! ❞ Sans pouvoir le retenir, Estevan lâchait un petit rire avant d'accepter sa proposition. De toute évidence, elle savait qu'il ne lui aurait jamais refusé une chose pareil.
❝ ANOOOUCK ! ❞ cria-t-il, le téléphone à peine raccroché.
❝ éteins la télé et mets un blouson, je te laisse avec papa et maman au restaurant. ❞ alors que sa petite soeur s'était mise à rouspéter, Estevan, lui, s'empressait de réunir ses vêtements de rechange dans un sac à dos.
❝ mais c'est toujours la même chose, toi tu as le droit de sortir quand tu veux, en plus c'est toujours toi qui fais la baby-sitter. et moi, et ben moi, j'ai même pas le droit de rester regarder la télévision. ❞ ❝ discutes pas avec moi, tu sais très bien que ça prend pas. bientôt tu pourras rester à la maison toute seule, mais pour l'instant tu devras te contenter de me réunir plein d'informations sur les nouveaux clients, d'accord ? ❞ Elle hochait la tête tout en lâchant un soupire.
Le doigt sur la sonnette, Estevan eut à peine le temps de l'entendre retentir dans la maison, qu'Aria s'était déjà précipitée pour lui ouvrir. Elle se jetait dans ses bras, sans qu'il n'ait eu le temps de s'en rendre compte.
❝ monsieur se fait attendre maintenant ? ❞ dit-elle tout en rompant leur étreinte.
❝ Anouck ... ❞ Elle leva les yeux au ciel et le fit pénétrer de force dans la maison, l’entraînant par la suite jusqu'à sa chambre. Estevan s'était assis sur le lit, la tête d'Aria reposant sur ses genoux.
❝ je ne comprends pas comment on peut laisser son enfant à une nourrice et partir des jours entiers loin de la maison. ils auraient pu m'emmener avec eux pour une fois, je veux dire, m'emmener faire quelque chose de sympathique, de familial ... ❞ se confia-t-elle alors qu'il tentait de l'apaiser en lui caressant les cheveux. Leur discussion dura bien longtemps encore et il essuyait ses larmes à force d'étreinte et de répliques consolantes. Aria n'était pas de ces filles qui pleurent à tout va et pour un rien et Estevan devait être l'une des rares personnes à avoir vu des larmes couler le long de son visage ces dernières années.
Dans ses bras, Aria finit par s'endormir, exténuée d'avoir raconté ses malheurs et les yeux rouges d'en avoir pleuré. Il remonta la couverture jusqu'à leur coup.
❝ bonne nuit, Aria. ❞ chuchota-t-il avant de déposer un baiser sur son front et de s'en aller à son tour dans les bras de Morphée.
■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■→ t'étais où hier soir ? j'ai pas arrêté de t'appeler mais je tombais toujours sur la messagerie.
→ il faut vraiment que je réponde à cette question ? malgré tout ce qui se passe, je garde tout de même le droit à un minimum d'intimité, Aria.
→ y a jamais eut d'intimité entre nous, accouches.
→ de sortie, Ben m'a présenté à deux trois amies.
→ je vois ... deux trois amies, tu t'es bien amusé j'espère ? parce que de là à ne plus répondre au téléphone, c'est qu'elles devaient vraiment en valoir le coup ses salopes.
→ c'est bon Aria on va pas encore débattre là dessus.
→ ...
→ tu viens toujours ce soir ? mes parents tiennent vraiment à ce que tu sois là. puis on pourrait en profiter pour leur annoncer la nouvelle.
→ ...
→ ARIA !
→ ouiii, c'est bon je viens, je viens.
La sonnette résonnait dans la maison et Estevan se pressait pour aller ouvrir la porte. Face à lui, Aria resplendissait de beauté et ses yeux scintillaient devant sa grâce maladroite.
❝ jolie robe, content que tu es fait un effort vestimentaire. ❞ ❝ essaies pas de te rattraper avec tes compliments à la con. ❞ Elle entra dans la maison, tout en le fusillant du regard.
❝ tu vas pas m'en vouloir indéfiniment, je ne faisais rien de ... ❞ Aria se colla soudainement dans ses bras, avant de l'embrasser furtivement, le coupant dans son élan. Il ne comprit sa démarche que lorsque la voix de sa mère parvint à ses oreilles.
❝ Aria, ma chérie ! Je suis si contente de te voir parmi nous ce soir. ❞ ❝ le plaisir est pour moi, Sandy. ❞ la mère d'Estevan entraînait Aria vers l'intérieur, tandis que celle-ci se retournait vers Estevan lui adressant un regard plein de rage.
Tout le repas durant, ils avaient fait bonne impression devant les parents, faisant mine de vivre un amour idyllique. Lorsque le dessert fut enfin servi, Estevan supposa qu'il était temps de passer aux aveux. Il profita d'un court blanc dans la conversation pour prendre la parole.
❝ nous avons une grande nouvelle à vous annoncer ... ❞ Estevan fit une courte pause, reprenant son souffle et réfléchissant aux mots qu'il pourrait bien utiliser. Continuer à mentir était de rigueur, puisqu'ils ne pouvaient désormais plus faire marche arrière. Mais tout ce qui passait commençait à lui peser. Il aimait malgré tout, cette relation qu'il entretenait avec Aria, si seulement elle était réelle. Le silence se prolongeait et toute la petite famille attendait avec impatience le moment de la révélation. Pourtant, bouche ouverte, aucun mot n'était prononcé par Estevan. Aria prit les devants et, entourant son cou de ses bras, elle déclara, pleine de joie :
❝ estevan va enfin venir s'installer avec moi. ❞❝ alors ça y est, vous avez décidé de sauter le pas. ❞ pour ne pas changer ses bonnes habitudes, Anouck pénétra dans la chambre de son frère sans prendre la peine de toquer. Elle s'assit à ses côtés sur son lit tout en continuant à la fixer d'un regard interrogateur.
❝ et oui ... ❞ ❝ c'est cool d'avoir sa meilleure amie en tant que colocataire. ❞ ❝ on n'est pas ... ❞ Estevan se tournait brusquement vers elle, la fixant à son tour. Il ne comprenait pas où elle voulait en venir par tous ces sous-entendus.
❝ c'est bon, me la fait pas à moi. tout ça c'est bidon, je me trompe ? ❞ Il resta bouche bée, ne trouvant aucun argument percutant pour démentir les faits. [color:59a2=Yellow green]❝ je ... euh, comment tu ... ❞
❝ tu sais, je te connais comme si je t'avais fait mon pauvre Estevan. ❞ dit-elle tout en lui donnant une tape sur l'épaule.
❝ et il faut dire que laisser ses conversations facebook ouvertes sur le PC, ce n'était pas bien intelligent de ta part. ❞ Estevan était encore plus choqué qu'il ne l'était déjà. Il était partagé entre l'envie de la serrer dans ses bras, se confier à elle puisqu'elle était désormais l'unique personne extérieure à être au courant de leur mise en scène, et celle de l'égorger d'avoir violé son espace personnel.
❝ si qui que ce soit d'autres venait à être au courant de la supercherie, je peux te jurer que tu ne seras plus jamais apte à dire quoi que ce soit. ❞ ❝ motus et bouche cousue. Ça ne sera rien qu'un nouveau jeu. un peu de chantage, ça nous fera pas de mal. ❞